Revoilà l’avenue du Peuple belge ! Je la connais bien, pour l’emprunter au quotidien depuis plus de dix ans, à pied ou à vélo. Ses trottoirs très cabossés m’ont valu quelques chutes. Alors sa métamorphose, c’est devenu un serpent de mer dans le quartier. Pour tout vous dire, à force de ne rien voir venir, j’ai même un peu d’affection pour son coté déglingué.
Pour mémoire, lors de la consultation une majorité exprimée en faveur d’une présence marquée de l’eau, via deux scénarii. Mais c’est l’option arrivée en tête à quelques voix qui est retenue : un parc sans eau. Nous avons déjà dit notre incompréhension à vouloir opposer l’eau et le végétal.
En conseil municipal le 29 juin 2022, regrettant vous-même l’absence de l’eau dans la sélection finale, vous aviez dit Mme Aubry avoir « sous-estimé que certains préféraient vivre entre eux et ne pas réfléchir à l’intérêt général de la ville, mais à leurs intérêts particuliers ». C’était une façon un peu cavalière de remercier les gens d’avoir participé. Mais Madame la Maire, ça se prépare et ça se construit la vision de l’intérêt général. Il existe même un modèle éprouvé pour parvenir à une position étayée et réfléchie : c’est celui de la convention citoyenne pour le climat. Et vous osez dire avec cette délibération que les orientations émanent d’une participation citoyenne !
Quoi, quand, où ? Depuis le choix du scénario, il n’y a pas eu une seule réunion publique, pas d’atelier urbain de proximité, rien. En juin dernier, enfin des nouvelles : on apprend que vous auriez procédé à des études et qu’il faudra patienter – comme précisé sur le site internet de la ville « l’été 2024, [pour mettre] en place des activités qui serviront de tests grandeur nature pour imaginer les possibles », donc après que l’équipe de conception soit choisie. Waouh ! Tester la forme des bancs, 3-4 carrés potagers et des jeux par-ci par-là. C’est tout. Si ça n’est pas une vision assez infantilisante de la participation citoyenne.
Qu’avons-nous ce soir sous les yeux ? Un pré-programme avec des intentions relativement œcuméniques mais assez imprécises. Relativement, car vous vous contentez désormais de « questionner la place de la voiture » et non plus de revenir dessus. Vous oubliez de mentionner des éléments clés du patrimoine, cela a été redit en commission. Vous introduisez la présence de l’eau comme un axe, c’est une amélioration à saluer, mais pourquoi se contenter de récupérer l’eau de pluie ? On ne perçoit pas d’inscription du projet dans l’ensemble du sous-bassin hydrographique, depuis les Soeurs Noires et le futur jardin du rectorat jusqu’à l’arc Nord. Votre conception de la nature en ville semble tenir davantage du décor morcelé entre du bâti, que d’une vision d’ensemble. Comme une peur du vide. C’est le problème avec la friche Saint Sauveur, ça l’a été avec le choix d’emplacement du nouveau Palais de justice sur une zone humide plaine W. Churchill, qui a coupé et rétréci un espace de nature de qualité.
Au fond, c’est comme l’ancienne pub Lesieur, vous voulez tout : tous les âges, tous les usages, un peu d’eau, un peu de vert, un peu de jeux, un peu de patrimoine, un peu de commerce, un peu de voitures, un peu de transport en commun, peut-être même un peu de vélo mais pas trop ! Et quand on veut tout, on ne priorise pas, on reste en surface. Comme les eaux que vous intégrez au projet. Car dans ce dossier on dirait que vous oubliez délibérément qu’à Lille, sous terre coulent des rivières.
Je me prends à rêver : et si dans le cahier des charges pour le dialogue compétitif vous intégriez la prise en compte des études assez complètes qui avaient été menées en 2010 pour le plan Bleu, en plus des études toutes récentes. Ces dernières auraient dû se trouver en annexe à cette délibération. Et si vous mettiez enfin les parties prenantes et les connaisseurs du sujet autour de la table pour construire un projet autour d’une intention forte et partagée ?
Ce soir vous ne nous donnez aucune garantie ni sur une construction collective et argumentée, ni sur un réajustement significatif qui réintroduit l’eau autrement que de manière récréative ou décorative. C’est si peu clair qu’avant le premier coup de pioche de ce projet à 25 M€, vous nous dites que le projet sera réversible, un jour. Sachant que le premier coup de pioche, c’est écrit ici noir sur blanc, ne sera pas donné avant – au mieux – 2027.
Madame la Maire, on sait maintenant que la requalification de l’avenue du Peuple belge sera de nouveau et pour la 3e fois, une promesse non tenue de votre mandat. Vous aurez seulement une belle image en papier glacé dans votre prochain programme municipal.
Alors il serait temps de réfléchir à un véritable urbanisme transitoire pour cette avenue encombrée de trous et de voitures. Elle le mérite bien, quand les enjeux sont déjà là, de façon si prégnante, avec la chaleur et la sécheresse qui sont une réalité de nos étés. Les personnes à mobilité réduite, les habitués du Palais de justice, les élèves du secteur et leurs parents, les cyclistes, les touristes et j’en passe vous en seraient reconnaissants.
Puisque cette délibération manque d’une affirmation programmatique claire en faveur d’une présence structurante de l’eau, et d’une appropriation citoyenne digne de ce nom des enjeux, nous nous abstiendrons.