Madame la Maire,
On peut aimer le rugby et se sentir concerné par le futur climatique. C’est même très compatible, car on a intérêt à garder une planète habitable si on veut continuer à regarder et pratiquer longtemps ce sport symbole du fairplay.
Une fois qu’on a dit ça, revenons au sport. Qu’attendra le public du village du Rugby installé les jours de match sur la Grand Place et la place du Théâtre à l’automne prochain ? Avant tout, de voir les matchs et de profiter d’une certaine ambiance.
Avec cette délibération, nous nous trouvons devant un dilemme connu. Ce moment où le sport-business l’emporte sur le sport-plaisir. On ne l’apprendra pas à Olivier Caremelle qui l’a si bien dit et publié à propos du football, je reprends ses mots : « l’argent est omniprésent. » C’est vrai aussi pour les grandes compétitions sportives internationales.
A quoi ressemblera le village de Rugby à Lille ? Vous avez fait deux choix qui méritent d’être soulignés : d’abord il ne comportera pas d’espace de restauration-vente de boissons. Cela nous semble tout à fait pertinent. Autant que ce soient les nombreux cafés bars et restaurants alentours qui accueillent les visiteurs. Il ne comportera pas non plus d’écran géant. Quelque part c’est dommage car cela prive le public de l’intérêt premier de ce type de village, c’est-à-dire de de vivre collectivement dans de bonnes conditions un match de haut niveau. Tout le monde n’a pas les moyens de se payer des places au Grand Stade, et le grand stade ne peut pas accueillir tous les amateurs. D’autant que nous avons des voisins européens grands pratiquants de rugby.
Ceci étant, il suffit de lire le cahier des charges commercial lié à l’accueil du village du Rugby dans notre ville pour approuver également votre décision. En effet, qui dit grand écran, dit diffusion massive de spots publicitaires. Comme s’il n’était plus possible d’avoir l’un sans l’autre !
Qu’on se penche sur la soixantaine de pages du cahier des charges commercial et on mesure à quel point il est question de marketing, branding, merchandising, de pyramide commerciale, de logos, de visibilité, d’exclusivité etc. etc. Et qui trouve-t-on parmi la petite trentaine de sponsors partenaires de cette coupe du Monde du Rugby ? Outre la compagnie Emirates, et petite blague signifiante, la marque de vêtement Macron, … eh bien on trouve TotalEnergies, une multinationale dont le principal gain vient de la production et vente d’énergie fossile, jusqu’à maintenir ses projets gaziers en Russie, alors que les athlètes russes sont eux interdits de participation au tournoi.
Suite à une proposition des élu.es écologistes, Mme Hidalgo, Maire de Paris et son adjoint au sport Pierre Rabadan, ancien du stade français qui a remporté cinq titres de champion de France, ont décidé de refuser la présence de TotalEnergies dans la fan zone, ce qui limitera nettement leur visibilité. Avant cela, Mme Hidalgo avait eu la main pour que Total ne soit pas partenaire des JO en 2024. Ce n’est pas anodin.
Cette coupe du monde du rugby c’est l’avant dernière avant 2030. Et ne l’oublions pas, en 2030 l’objectif partagé est d’avoir diminué de moitié les émissions mondiales de gaz à effet de serre par rapport à celles de 2010. Il faut qu’on se le répète : ça revient – chaque année – à réaliser une baisse équivalente à celle que nous avons connu en 2020, année du COVID. On est encore bien loin, très loin, de l’effort à fournir. Dans ce contexte, le modèle actuel des compétitions sportives internationales n’est plus tenable. Pour le faire évoluer, on ne peut pas miser sur quelques discours et projets verdis d’entreprises sponsors qui ne sont pas des philanthropes.
Valentin Martin nous a fait valoir en commission que des animations sportives et tout un travail autour des îles Fidji sont notamment prévus pour les écoles. Très bien, tant mieux. Mais en réalité les enseignants, les animateurs n’ont pas besoin de tous ces sponsors pour faire découvrir une culture, un sport. Ils savent très bien le faire tout le reste du temps sans devoir faire passer leurs élèves sous des guirlandes de logos.
Vous le savez, les collectivités locales se trouvent en première ligne en matière climatique. Quel sens y-aurait-il à signer des chartes, voter des plans, engager des actions si c’est pour annuler ces efforts en encourageant les stratégies marketing d’entreprises climaticides ? Nous espérons Madame la Maire que vous transformerez l’essai, et que vous suivrez en cela votre homologue parisienne. Pouvez-vous ce soir nous donner la garantie que la présence de TotalEnergies ne sera pas activée dans ce village du Rugby ? Je réserve l’expression de notre vote à la teneur de votre réponse.