Serre équatoriale : Nathalie Sedou interpelle la majorité municipale sur son incohérence vis-à-vis de la place de la nature dans la ville

Madame le Maire, Monsieur l’adjoint à la nature en ville,

20 000 arbres plantés, le chiffre impressionne. Mais  cruel paradoxe : tandis que les plantations d’arbres se succèdent en bord d’autoroute, la première adjointe ordonnait la déplantation de la serre dite équatoriale du Jardin des plantes, toute proche. Bien sûr, il importe de renforcer nos trames vertes qui jouent un rôle pour les continuités écologiques et la santé environnementale. Nous voterons cette délibération. Mais comment se contenter d’espaces de nature en devenir quand on est privé – d’un coup – de ce bout de forêt magique à deux pas, seul moyen aux alentours d’oublier vraiment le périphérique ?

Je vais vous raconter ce que j’y ai vu le 9 octobre dernier, qui est à l’image des 1019 commentaires de la pétition qui compte plus de 8000 signataires à ce jour. C’était 10 minutes avant la fermeture habituelle. Depuis l’étage, j’observe un jeune homme gravir les marches avec sa compagne dans ses bras. En bas, un fauteuil roulant arrêté au pied des escaliers. En fait, inquiet de l’avenir de la serre, il voulait lui donner une chance d’observer à l’étage la belle hauteur envahie de  lianes, les cimes d’arbres qui ont grandi là.

Il aura vécu quelque chose de fort ce jeune couple. Et nous autres visiteurs du lieu, nous n’imaginions pas être, avec eux, les derniers à contempler ses pentes foisonnantes. Car ce 9 octobre, une semaine après la clôture de la saison Utopia, triste ironie, la serre a fermé ses portes pour ne pas rouvrir. On connaissait votre intention, mais sans aucun calendrier. L’annonce formelle de fermeture a été publiée le jour même, un dimanche, sur le site web de la ville, en catimini. Ça peut paraître un détail, mais toute votre méthode est résumée là Mme Linkenheld. A peine 9 jours plus tôt, le procès-verbal du dernier conseil en témoigne, vous aviez pourtant précisé Mme le Maire qu’il s’agissait de fermer la serre « non pas tout de suite » – ce sont vos termes exacts – et c’était au moins un élément rassurant. J’avoue, j’ai péché par naïveté de ne pas saisir votre précipitation. La déplantation a commencé dans la foulée.

Aurait-on imaginé un destin aussi brutal pour les grandes serres du Jardin des Plantes à Paris, du parc de la Tête d’or à Lyon ? Parce que vous n’avez mis personne autour de la table en amont, Mme la première adjointe, vous n’avez peut-être pas perçu à quel point vous avez porté atteinte à l’histoire familiale des gens. Vous les avez privés d’une part de rêve, d’une source de vocation, de repos. Vous avez privé notre ville d’un exceptionnel espace de nature, vous avez décrété que des milliers d’enfants ne découvriraient plus, ébahis, ce trésor irremplaçable. Qu’avez-vous bien pu dire aux écoles dont les sorties étaient programmées toute cette année scolaire ?

Pas de transition écologique sans justice sociale, répétez-vous. Mais elle est où la justice sociale quand vous semblez dire que le beau, c’est réservé à celles et ceux qui prennent l’avion tous les ans avec leurs enfants, pour un dépaysement garanti ? Tant pis pour les autres gosses qui ne verront que des photos ou des plantes miniatures quand l’instit’ leur parlera d’un milieu tropical, alors que les premiers auront en tête un vrai souvenir de vacances.

Écoutez ces quelques commentaires :

La serre équatoriale c’est l’âme du quartier de Lille sud. J’y ai passé toute mon enfance et mes enfants âgés de 12 et 15 ans adorent y aller.

Dominique qui emmène ses stagiaires dans cette serre, dit : « On y voit grandeur nature, ou presque, les stratégies que le monde végétal adopte pour se développer. »

Olivier se souvient : « J’imaginais voir un serpent à la place de chaque liane, et tremblais de découvrir des mygales derrière chaque feuille ! »

Ou encore cette mère : mes enfants ont découvert la végétation de leur deuxième pays, le pays de leur papa grâce à la serre du jardin des plantes. C’est ne pas tenir compte de cette population de Lille aux origines multiples.

Tout ça pourquoi ? Je dirais un mot tout à l’heure sur le bâtiment à l’occasion du vœu car vos arguments techniques, permettez-moi l’expression, ne paraissent pas béton.

Mais l’essentiel n’est pas là. Ce dont il est question avec votre présentation M. Dendievel et cette délibération c’est qu’on ne pense pas la nature en ville contre les gens qui y sont attachés.

Deux motifs d’espoir cependant : un comité scientifique s’est constitué et a été réuni au moins une fois, si j’en crois ce que vous m’avez dit M. l’adjoint. Et je crois savoir Madame le Maire que vous avez rencontré des membres du collectif. Tant mieux. Qu’avez-vous retenu de ce qui vous a été dit ? Quels gages pouvez-vous nous donner quant à l’avenir des grands sujets, imposants « par leur taille ou leur port particulier [ce qui leur confère] une valeur patrimoniale intrinsèque et suscitent l’attachement ou l’admiration. » Et là je ne fais que citer l’annexe 4 de la présente délibération expliquant ce qui fait la valeur d’un arbre isolé. Je me permets de rappeler d’ailleurs qu’aucun bouturage ou marcottage ne saurait les préserver : ça reviendrait à garder quelques glands d’un chêne majestueux.

Cela nous préoccupe car c’est la mémoire de notre ville, nos liens affectifs avec elle, la monumentalité et l’intégrité de ce patrimoine naturel unique à Lille qui sont malmenés. C’est un service public qui disparait, un musée du vivant qui ferme.

Je ne peux évidemment pas terminer sans saluer les personnes mobilisées dans le collectif Sauvons la serre, les Amis du Jardin des plantes et Renaissance du Lille ancien, qui ont pris la peine de communiquer à tous les membres de notre conseil municipal un dossier très étayé et qui m’ont fait prendre la mesure de ce qui se joue.

Enfin et surtout, je voudrais saluer les agents de la ville et jardiniers qui soignent cette collection botanique depuis des décennies, qui sauvent ce qui peut l’être entre leurs missions habituelles. L’attachement très fort à ce lieu, exprimé depuis un peu plus de deux mois, c’est la preuve de la qualité de leur travail et de leur savoir-faire. Ce serait terriblement dommageable pour notre ville que ces savoirs et cet espace de nature se perdent. Une perte qui ne peut être justifiée par les projets que vous nous avez présentés, aussi louables soient-ils. Qui sauve un arbre, sauve l’humanité.

Je vous remercie.