Cinéma : Nathalie Sedou dénonce le monopole d’UGC à Lille et l’absence criante de cinéma indépendant

Madame le Maire,

La ville de Lille rejoint donc le réseau régional Film Friendly piloté par l’association Pictanovo.

Lille est-elle film friendly ?  Du point de vue de l’accueil des tournages de téléfilms et séries, certainement, avec ce que la délibération mentionne : ses retombées économiques, l’attractivité, etc. On connaît la chanson. Mais à force d’attendre cela de la production culturelle, on en oublierait presque sa fonction première.

Certes, vous connaissez cette fameuse phrase d’André Malraux : « le cinéma est un art, et par ailleurs c’est aussi une industrie. » Permettez-moi de l’inverser : le cinéma est une industrie, par ailleurs, c’est aussi un art. De ce point de vue, Lille est-elle toujours aussi film friendly ? Il ne suffit pas de produire des films, encore faut-il les voir, en s’assurant que la diversité de la production mondiale puisse arriver jusqu’à nous.

Et de ce point de vue, j’ai le regret de vous informer que notre ville détient un triste record. En effet, nous sommes, en France, la seule ville de plus de 200.000 habitants à ne pas disposer d’un cinéma indépendant. Pour celles et ceux qui n’auraient pas suivi, il y a 3 ans, le Majestic et le Métropole ont été rachetés par la société UGC qui profite désormais d’un monopole absolu dans notre ville sur la sortie des films en salles. La principale raison de cette cession était liée à la perspective d’installation d’un multiplexe Pathé à Lille Sud, derrière la halle de glisse, dont la première pierre n’a toujours pas été posée.

Aujourd’hui, à Lille, pour aller voir un film en salle, c’est comme si vous dépendiez d’un seul groupe de la grande distribution pour faire vos courses alimentaires. Résultat : des films programmés à des horaires improbables ou pas du tout, des tarifs moins accessibles. Les Lilloises et Lillois sont privés d’un lieu où il fait bon se retrouver pour découvrir des pépites filmiques qu’on ne pourrait pas voir ailleurs. Le résultat, c’est par exemple une association culturelle lilloise qui a dû renoncé cet automne à faire venir un cinéaste européen faute d’accord pour une avant-première, le film avait dû paraître trop risqué pour l’unique exploitant présent dans notre ville.

Alors qu’en est-il de l’arrivée annoncée du multiplexe Pathé à Lille Sud? Et quand bien même Pathé finirait par arriver, qu’est-ce que ça changerait sur le fond ? Pathé qui prépare sa cotation en bourse pour 2024 et a proposé au groupe UGC de fusionner, sans succès, pour l’instant. Je connais d’avance certaines de vos réponses : il y a l’Univers et l’Hybride qui font certes un beau travail, mais très spécifique. Leur programmation ne peut se substituer à celle d’une salle de cinéma indépendante, dont ces lieux seraient plutôt complémentaires. En effet, l’Univers et l’Hybride ne disposent ni du droit de diffuser les films au moment de leur sortie, ni des conditions techniques pour le faire. Vous allez aussi citer les manifestations très ponctuelles comme Series Mania ou CinéComédies. Et cela m’interroge : votre énergie – et je ne parle pas que d’argent public – doit-elle se concentrer sur des manifestations qui proposent des séances entièrement gratuites à l’UGC, déjà en situation de monopole ?

Amiens, Angers, La Rochelle, Lyon, Nantes, Toulouse – pour ne citer que certaines villes – sont connues non seulement pour leurs festivals, mais pour leurs salles, leurs cinémathèques, leurs dispositifs articulés. En voulant faire venir Pathé, qui ne viendra peut-être jamais, vous avez littéralement uniformisé l’exploitation cinématographique de notre ville. Vous nous avez privé d’un accès digne de ce nom au patrimoine filmique, à la diversité culturelle cinématographique. Vous limitez forcément les actions d’éducation à l’image inscrites dans la durée, qui demeurent de fait très confidentielles et contraintes par cette absence de lieu repère. Vous mettez en difficulté des distributeurs de cinéma eux aussi indépendants et courageux. C’est toute notre opportunité de comprendre le monde à travers différents regards et points de vue qui est mise à mal.

Nous restons particulièrement vigilants à l’évolution du paysage lillois concernant la diffusion des films. Derrière les projecteurs qui brillent, devant les robes de soirées de quelques vedettes qui foulent les tapis rouges, je conçois bien qu’il y a des yeux d’ados qui brillent. Vous concevrez sans peine Madame l’adjointe à la culture, par votre beau nom et parenté avec une figure éminente du cinéma français, qu’on peut avoir aussi les yeux qui brillent au simple souvenir de cinéastes rencontrés au Métropole à une époque désormais révolue : Samuel Fuller, Alain Guiraudie. Vous avez peut-être remarqué la toute récente campagne pour remotiver les spectateurs à retourner dans les salles, le COVID est passé par là. « On a tous une bonne raison d’aller au cinéma ». Eh bien ici à Lille, cela ne se vérifie plus. Madame le Maire, saurez-vous nous donner une bonne raison d’aller au cinéma et le moment venu soutenir le retour d’une salle indépendante ? Ou mieux, sauriez-vous enfin l’encourager ?

Cette délibération que nous allons voter bien sûr, nous aura au moins permis d’interroger publiquement votre politique culturelle en matière de cinéma. Et d’avoir des nouvelles du projet Pathé !

Je vous remercie.