Financiarisation, métropolitisation… Pour Julie Nicolas, vigilances sur la SPL Euralille qui doit se doter d’un plan stratégique pluriannuel

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais commencer par saluer le travail de la Fabrique des Quartiers : un travail nécessaire, indispensable, qualitatif, dont nous apprécions chaque jour la complexité mais aussi la nécessité et les résultats dans nos quartiers. La Chambre Régionale des Comptes ne s’y est pas trompée et nous nous joignons à ses félicitations.

Mais l’objet de cette intervention est davantage de nous concentrer sur la SPL Euralille, à laquelle avait précédé une SEM qui avait dû être recapitalisée en 1998, car les grandes firmes étrangères ne sont jamais venues, ni, d’ailleurs, nos propres grandes entreprises qui ont préféré d’autres cieux métropolitains, avec pour conséquence, plus d’artificialisation.

La SPL Euralille, qui s’exporte au-delà des frontières qui étaient les siennes au fil des opérations qui lui sont confiées, avec des opérations qui n’ont plus grand chose à voir avec son savoir faire.

Parmi les exemples les plus frappants, et les plus imminents, le projet Grand Euralille, qui nous promet :

  • d’observer le vivant,
  • de découvrir l’histoire,
  • de surmonter les obstacles. (je cite les termes de la concertation)

La concertation qui s’ouvre la semaine prochaine sera, à n’en pas douter, très riche… et nous serons bien évidemment au rendez-vous.

Nous en attendons toujours les études qui justifieraient les objectifs stratégiques votés l’année dernière par cette assemblée, mais peut être les aurons-nous grâce à la concertation ?

En cette période d’enquête publique, rappelons que l’espace vert du nouveau quartier de la Porte de Valenciennes est devenu le site d’atterrissage d’une piscine olympique, sur le seul espace véritablement vert et non imperméabilisé – sur pas moins de 23 hectares dédiés à l’opération.

Mais revenons à ce que nous dit la Chambre Régionale des Comptes :

La CRC n’utilise pas le terme de spéculation immobilière – mais met en lumière le retard VOLONTAIRE de la commercialisation du lot 10.9 d’Euralille 3000 pour tenter d’atteindre, avec succès, un record historique sur le prix des cessions. 

Après tout, si cela peut ensuite financer maintenant plus de Nature en ville, plus de qualité de vie pour les lillois.e.s ?

Du point de vue de ceux qui mesurent les effets de la financiarisation de l’aménagement de la ville, on en comprend mieux les limites. Surtout quand on a le nez sur ces chiffres, études, et réalités de tous les jours qui nous rappellent avec insistance que Lille est la ville la plus ségréguée de France, hors Paris.

Mais

Mais à l’inverse, lorsque la SPL se trompe, fait des erreurs, mène des opérations qui sont rejetées par toute une partie de la population, puis par la justice, 

ces erreurs, et les risques qui vont avec, viennent peser un peu plus sur les finances publiques : doublement de la rémunération sur l’îlot pépinière, 550 000 euros versés pour l’opération Saint Sauveur sans réelle justification – hormis 110 000 euros de dépenses liées à la sécurisation du site pour empêcher des occupations de personnes qui n’ont nulle part où aller.

110 000 euros qui auraient pu servir à de la mise à l’abri, à de l’insertion sociale, à accompagner des personnes fragiles et vulnérables, encore aujourd’hui des femmes et des jeunes qui sont à la merci d’un trafic de drogue qui s’installe durablement.

  • Page 24 du rapport, un extrait de la réponse que vous avez adressé à la Chambre Régionale des Comptes est ainsi restitué : « le contentieux urbain de Saint Sauveur n’a pas été généré par une faute imputable à la SPL Euralille, mais par l’évolution du débat public ».

Ah bon ?

Les centaines de personnes qui ont relu les différentes versions de l’étude d’impact, mais aussi l’Autorité environnementale, qui ne dit pas autre chose dans ses multiples avis jusque dans son tout dernier, auraient donc tort lorsqu’elles affirment que les études sont incomplètes, manquantes, partielles ?

Le juge aurait-il tort lorsqu’il affirme dans son jugement de l’automne dernier qui évoque à plusieurs reprises les omissions et les insuffisances du dossier ?

On ne saurait parler de la SPL sans parler de la tertiarisation. Une tertiarisation qui se traduit au mieux par une stagnation du nombre de logements sociaux selon les chercheurs qui suivent de près les indicateurs sur notre territoire, avec des nouveaux logements et activités économiques qui restent pour l’essentiel inaccessibles aux catégories populaires… tout en reproduisant les inégalités.

On parlait tout à l’heure des emplois que l’on choisit de créer : aux emplois ouvriers se succèdent les emplois précaires et temps partiels -subis- pour faire vivre cette tertiarisation : des agents de nettoyage, des vendeurs, conducteurs de véhicules, employé.es administratifs, et les emplois particulièrement féminisés des services à la personne, secrétaires, aides soignantes.

Cette face cachée de la tertiairisation, ces « ouvriers du tertiaire », c’est ce qui fait de Lille ce laboratoire des transformations du marché du travail français, un laboratoire qui avant les autres avait perdu ses emplois ouvriers, qui expérimente désormais ces emplois précarisés. 42 % de temps partiels.

Ce sont ces données là qui nous interpellent : ces données sur la précarité de l’emploi qui se reproduit, celles sur les logements qui échappent à toute une partie de la population liilloise.

Cela nous renvoie à la principale injonction de la Chambre Régionale des Comptes : que la SPL se dote d’un plan stratégique pluriannuel, promis dans le mémoire en réponse « à l’occasion du prochain Conseil d’Administration ». Hélas, ce « prochain CA » a eu lieu, mais pas de plan stratégique.

Peut être est-ce l’occasion de prendre le temps d’y intégrer enfin les effets secondaires de nos politiques et des outils à leur service. La métropolisation et la tertiarisation ont fait leur temps. Les structures qui la portent ont également fait leur temps, et doivent être renouvelées. Il nous faut un nouveau contrat démocratique sur la manière de faire la ville, réparer la confiance brisée, faire la transparence et renouveler le dialogue avec les lillois.

Alors que s’ouvre une nouvelle séquence autour de Saint Sauveur, je voudrais citer les mots de l’Autorité Environnementale dans son avis actualisé sur le projet Saint Sauveur : « ce pari sur le futur ne vaut pas démonstration »