[Puisque c’est toujours de citoyenneté européenne qu’il s’agit, je vais essayer de rester dans le ton]
Señora alcalde, caro consigliere delegato, dear fellow members, meine Damen und Herren… Grazie, choukran, spassibo, dyakuyu, merci.
Merci pour ces deux délibérations de soutien à la population ukrainienne qui fuit et subit la guerre. Elles se complètent. L’une permet de fournir une aide là-bas. L’autre vise à offrir aux familles ukrainiennes un repas du restaurant municipal, le jour de leur arrivée ici. Ces deux décisions sont liées à une démarche globale de la ville « cousu-main » que notre groupe tient à saluer ce soir.
D’abord, cela ne vous étonnera pas, nous voudrions redire l’importance d’une hospitalité sans discernement. La semaine dernière, un père en témoignait ici lors de la cérémonie d’accueil organisée par la ville. Il nous a confié avec émotion que sa famille se sentait prête à faire de la place chez elle pour recevoir « des réfugiés subsahariens ou syriens ». Finalement ce furent des ukrainiennes, puisque leur volonté admirable a coïncidé avec l’appel de la ville.
Son récit m’a rappelé votre intervention, M. Pianezza, il y a un an jour pour jour. Je retiens vos mots sobres et pas moins sensibles, quand vous nous aviez remémoré l’image du petit garçon syrien « face contre terre, gisant sur une plage turque ». Tous deux vous avez semblé nous dire : ce qui déclenche la compassion et l’entraide c’est d’être témoin, et de ne pas pouvoir détourner le regard. En fait, la solidarité n’a que faire de la nationalité, de la couleur de peau, ou des papiers en règle.
À l’inverse, ce que l’on ne voit pas, d’une certaine manière n’existe pas. Alors n’oublions pas de porter notre regard sur des personnes exilées arrivées à Lille plus furtivement, avec leurs lots d’épreuves. Car qui dit moins visibles, dit moins accompagnées. Des associations vous interpellaient par courrier encore début janvier Madame la Maire, sur leur sort.
On ne peut rester sans réagir, que ce soit aux portes de l’Europe, au cœur de l’Europe ou au pied du beffroi.
Et vous l’avez prouvé. Devant l’urgence, la ville a identifié 250 places d’hébergement. Nous espérons qu’elles pourront rester accessibles plus tard à d’autres personnes aussi nécessiteuses. Je dis plus tard, en espérant prochainement, car on n’ose imaginer un conflit qui dure. Qu’on pense à la Syrie où la guerre s’éternise depuis onze ans.
Et puisque l’offre dépasse largement la demande, si je puis me permettre l’expression, parmi les très nombreux ménages lillois à s’être signalés, il y en a sûrement qui offriraient volontiers un hébergement de quelques jours à d’autres exilés. Ces ménages pourraient être mise en relation avec Migr’action ou Utopia 56, associations qui recherchent des familles d’accueil sur des temps plus resserrés, pour des jeunes mineurs notamment.
Enfin, cette judicieuse idée du repas offert mérite d’être reprise. Des initiatives similaires existent, mais elles restent confidentielles. Imaginez ce que cela donnerait si tous les restaurants collectifs publics et privés de la ville offraient chaque jour quelques repas à des personnes démunies.
C’est coutumier, mais toujours bon à constater : quand le besoin est impérieux, on se découvre des ressources insoupçonnées. Le paradoxe c’est que les inégalités de traitement se voient davantage. Car il y l’envers du décor. Nous avons appris que les rendez-vous pour des titres de séjour à d’autres étrangers sont retardés de plusieurs mois en préfecture, laquelle semble fonctionner à effectifs constants. Là où certains se voient fort heureusement proposer un abri, d’autres demeurent à la rue sans solution depuis des mois. Bref, il manque une coordination virtuose pour que tout cela fonctionne sans risque de discriminations.
La préfecture est-elle la mieux placée ? Partiellement. Par définition elle ne possède pas l’agilité et l’imagination du niveau communal dont vous faites preuve. Que la ville de Lille ait dépêché deux agents directement en préfecture pour gérer l’accueil de personnes ukrainiennes, cela en dit long. Il semble aussi que – hors la Croix Rouge – des associations aguerries à l’aide aux réfugiés et à la gestion de crise, telles La Cimade, ou Médecins du Monde, ne sont pas dans la boucle de la préfecture. Pour autant, rien n’empêcherait la ville de le faire.
Nous avons bien conscience de toute l’énergie nécessaire pour connecter le terrain, les savoirs et les bonnes volontés. Vos services et élu.es sont mobilisés. Faustine Balmelle a déjà pu l’exprimer : nous sommes évidemment disponibles pour prêter main forte dans un moment aussi inédit. Pas seulement comme individus engagés, ce que nous faisons déjà, mais bien comme élu.es avec notre connaissance du terrain qui est complémentaire à la vôtre. Puisque la situation pourrait durer, vous l’avez dit, nous notons que le règlement intérieur donne la possibilité de constituer une commission municipale spéciale. Est-ce un format à retenir pour maximiser l’échange d’informations et bonne pratiques ? Peut-être. Ce qui est sûr, c’est que l’urgence humanitaire actuelle mérite – sur ce point précis – que nous joignions nos forces aux vôtres.
À partir de vos dispositifs et des réseaux de solidarité qu’on voit se mettre en place, une sorte de plateforme d’aide aux exilés pourrait émerger à Lille. Peut-être qu’en aidant les familles ukrainiennes, vous aiderez d’autres exilé.es à Lille qui restent encore oubliés.
Je conclurai en citant l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, celui-là même qui nous mettait en garde contre les identités meurtrières. En 2009, dans Le Dérèglement du monde, il consacre quelques pages, toujours avisées, au dérèglement climatique. Ce qu’il en saisissait déjà avec acuité, peut tout aussi bien s’appliquer aujourd’hui à la situation que nous vivons en recevant les familles ukrainiennes :
S’il nous fallait un « état d’urgence » pour nous secouer, pour mobiliser ce qu’il y a de meilleur en nous, voilà, nous y sommes.
Je vous remercie de votre attention.