Nathalie Sedou revient sur la situation des exilé·es sans abri à Lille

Chers collègues,

Nous approuvons sans réserve ce soutien augmenté à SOS Méditerranée, tout en regrettant son impérieuse nécessité. Des gens meurent en Méditerranée. Parce que la frontière européenne est une forteresse difficile à franchir. Cela nous fait honte. C’est ce qui rend cette délibération essentielle.

Nous avons besoin de redire ce soir que sauver des vies en mer, cela implique aussi un accueil digne sur terre.

Et, Mme la Maire, vous avez toutes les cartes en main pour aller jusqu’au bout de l’humanité contenue dans cette délibération. Ce que vous avez fait pour des familles afghanes cet été avec une réactivité qui vous honore, vous pouvez le faire pour sortir du dénuement les exilés qui subsistent dans notre ville, notamment à quelques centaines de mètres d’ici, sur la friche Saint Sauveur, au parc Matisse, dans des tentes ou des bidonvilles.

Vous avez toutes les cartes en main d’abord parce que votre majorité est composée de socialistes, communistes, humanistes : ces mots ont un sens et renvoient aux valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, que notre groupe partage absolument avec vous. Plus encore, votre majorité est constituée de médecins, avocat, enseignants, militants de l’éducation populaire dont la vocation est de porter secours, de faire grandir l’intelligence, et le civisme. Enfin, dans votre majorité, vous comptez le premier adjoint de Lomme, Mr Caremelle qui a une précieuse expérience dans l’accueil des exilés, suite à son action remarquable à Grande-Synthe avec Damien Carême.

Vous avez – en plus – hors de la majorité, non pas une large opposition de droite, sourde aux inégalités du monde, qui gesticule contre l’immigration pour flatter les bas instincts des électeurs. Non, mais vous pouvez compter sur nous, douze élu.es écologistes, de gauche, avec les valeurs d’entraide et solidarité chevillées au corps, déterminées à vous encourager. Plus encore : nous sommes plusieurs dans notre groupe à savoir dans notre chair ce que sont la galère de la rue, la xénophobie, ou le funeste éloignement des siens.

Surtout, vous avez toutes les cartes en main parce que la générosité de la population lilloise est connue. Elle était manifeste en août, quand vous avez lancé un appel aux dons pour les familles afghanes. Et plus encore : il y a dans notre ville des militants admirables, bénévoles ou salariés, jeunes et moins jeunes, dans des associations ou isolément, qui se relaient pour porter assistance, de l’eau, de la nourriture, de l’écoute, aux exilés de la friche, du parc Matisse, et d’ailleurs. Avec difficulté parfois, comme on a pu voir dernièrement sur la friche. Sans toutes ces personnes de bonne volonté, les exilés à la rue, dont des mineurs, seraient abandonnés.

Des solutions transitoires de mises à l’abri, inventées par des bénévoles, ont existé et ont été démantelées, empêchées, dans une logique répressive. C’est désolant et contraire à l’esprit qui nous anime ce soir en votant ce soutien. Cela pourrait se passer autrement, car c’est une obligation morale. Le principe de fraternité a été reconnu par la loi en 2018 et le droit à l’hébergement opposable concerne tout le monde, y compris les personnes en situation irrégulière. Madame Aubry, vous pourriez avoir de l’influence en la matière : nous avons vu combien votre détermination et notoriété pouvaient être efficaces auprès de l’État pour l’accueil des familles afghanes. Vous avez toutes les cartes en main, et c’est tant mieux.

On nous rétorque souvent que c’est « difficile », « complexe ». Admettons. C’est pour ça que nous vous proposons de rejoindre l’association nationale des villes et territoires accueillants, dont M. Caremelle est d’ailleurs membre à titre individuel. C’est pourquoi notre groupe est disponible pour contribuer aux solutions. D’autres élu.es dans notre métropole le sont tout autant.

Mais restons humbles : ce qui est difficile ce n’est pas d’insister auprès du préfet pour qu’il laisse les gens tranquilles ou auprès du Département pour qu’il assume son rôle de protection de l’enfance et de la jeunesse. Ce qui est difficile, le mot est faible, c’est de quitter son pays sans retour, c’est de subir la torture et la prison en Libye, c’est de risquer l’échec ou la mort à tout instant sur le chemin de l’exil, c’est de traverser tant d’épreuves pour au final réaliser que les richesses et services au Nord se partagent très peu.

Puis-je vous recommander, chers collègues, de lire ce livre d’Antonin Richard, « Ce matin la mer est calme ». L’auteur est un jeune lillois qui mène des missions de sauvetage en mer, et qui a œuvré (et œuvre peut-être encore) pour SOS Méditerranée. Vraiment, il force le respect. J’en citerai un bref passage, qui suit le récit d’un naufrage très éprouvant dont lui et son équipe ont été témoins. Des heures plus tard, ils approchent de nouveau un bateau pneumatique, et il raconte, je le cite : « Le sauvetage est assuré autant par notre équipe que par les personnes à bord du rubber. Nos « invités » sont pleins de vie, et sans le savoir ils rallument notre motivation. Dans l’équipage, certains disent que ce n’est pas nous qui les avons sauvés, mais eux qui nous sauvent ».

« Ce n’est pas nous qui les avons sauvés, mais eux qui nous sauvent »… Chers collègues de la majorité, très sincèrement, je ne doute pas un instant que ces paroles résonnent pour la plupart d’entre vous.

Les bénévoles en mer, et sur terre, nous obligent tous dans cette enceinte, d’autant que le fond de l’air est inquiétant. Aussi, il nous revient à nous, membres du conseil municipal de Lille, Lomme, Hellemmes, de ne pas laisser l’essentiel de la charge sur leurs épaules et d’assumer notre responsabilité politique.

Nous vous avons transmis un courrier sur ce même sujet il y a un mois, Madame la Maire. Nous n’avons pas encore eu de retour. Mais la meilleure réponse serait, en fait, de vous voir réaliser sans tarder l’objectif qui se trouve au cœur du soutien à SOS Méditerranée, proposé au vote ce soir : le secours, la protection, une rapide et effective mise à l’abri pour les exilés contraints à la rue dans notre ville. Comme vous y appellent toutes celles et ceux qui se démènent pour eux, ici à Lille. Vous avez toutes les cartes en main, et des personnes de grande valeur dans votre majorité pour vous aider à y parvenir.

Madame la Maire, chers collègues, je vous remercie de votre attention.