Culture durable et partagée

Intervention de Nathalie Sedou sur l’engagement de la Ville de Lille pour une culture durable et partagée

Chers collègues,

Dans le texte de la délibération, il nous est demandé d’en approuver les orientations. Alors en toute logique on cherche dans le document annexé de 40 pages les orientations, c’est-à-dire les propositions pour l’avenir. Et l’on y trouve plutôt un état des lieux instructif de l’existant ; le bilan de 20 ans de politiques culturelles, et des multiples intentions, parfois contradictoires, qui les ont guidées.

Si les orientations sont votre bilan, est-ce que cela voudrait dire qu’il n’y a guère de vision pour les 20 ans qui viennent ? D’une façon, cette délibération ressemble d’abord à un hommage à vos 5 mandats, Mme Aubry au sein de la ville de Lille. Ce qui s’entend parfaitement puisque – Madame le maire – vous avez fait de la culture un axe clé de vos mandats. Avec le succès que l’on sait.

Voici donc un bilan pour lequel on nous demande de voter pour ou contre. Soit. Mais de quel bilan s’agit-il ? Plus de la moitié de ces 40 pages est consacré à Lille 2004 et Lille 3000. Plus de la moitié. On dirait d’ailleurs qu’à Lille, en matière culturelle, tout est d’abord municipal, surtout Lille 3000. Comme si la ville moderne était née avec Lille 2004, qu’auparavant elle n’était que grisaille et folklore.

Certes, la capitale culturelle a permis de financer des lieux qui n’auraient pas été rénovés ou créés facilement. Nous sommes d’accord : c’est un fait indéniable, Lille 2004 a transformé l’image de la ville : l’idée qu’on s’en faisait. J’en sais quelque chose, arrivée moi-même à Lille en 1989 dans le même état d’esprit que Kad Merad dans Bienvenue chez les Ch’tis. Mais en usant les bancs de la fac d’histoire de l’art, j’ai vite mesuré combien Lille était déjà, alors, une grande ville culturelle.

Aussi pourquoi avoir choisi de valoriser les 20 dernières années, et pas les 30 ou 40 ? Tout n’a pas commencé avec Lille 2004. Rappelez-vous, pour les moins jeunes, ce grand temps que constituait le festival de Lille. Les compagnies, les orchestres, les fanfares, les salles de spectacle, l’opéra, le palais des Beaux-arts, les cinémas, les bibliothèques, étaient déjà là. Bref la culture était déjà bien vivante. Et bien sûr cela continuera quand Mme Aubry ne sera plus Maire.

La culture à Lille, c’est d’abord le fait d’artistes, de lieux de diffusion, de médiation, de publics en nombre, et en diversité. Beaucoup se sentent concernés par le dernier point de votre document : la transition écologique et sociale, que nous aurions été tenté de mettre en premier. A ce sujet, il me vient à l’esprit les échanges nourris dans les workshops du Palais des Beaux-arts ou le travail de fond mené par l’Aéronef – relayé par un papier très intéressant dans la VdN.

Dans le texte de délibération, vous nous promettez des questionnements mais on trouve plutôt une cohorte de superlatifs : grande capitale culturelle en Europe, nouvel art de vivre, renouveau culturel, laboratoire inédit d’innovation culturelle territoriale et sociale, élan et potentiel transformateur… Où se trouvent les questionnements, les enseignements qu’on tire d’un bilan, de ce qui va et ne va pas, les doutes, les ambiguïtés fécondes propres à la culture ?

Au fond vous nous offrez un panorama des politiques culturelles municipales. Nous saluons l’accent mis sur l’éducation artistique, sur l’ouverture au monde. A ce propos, puisque vous mentionnez judicieusement Lille comme terre de migrations, on peut regretter que pas une fois on ne trouve les pays du Maghreb invités dans les saisons passées de Lille 3000. Surtout on remarque des non-dits très parlants. Vous vous enorgueillissez de l’inscription aux MH de la Citadelle et passez sous silence votre décision de retirer la candidature au patrimoine mondial de l’UNESCO. Sans surprise, le cinéma est quasi-inexistant, et plus étonnant : la métropole lilloise n’est absolument pas citée.

Parti pris ou omission, c’est curieux dans une délibération intitulée « Culture durable et partagée ». En soi c’est d’ailleurs intéressant de vouloir associer à la culture les qualificatifs de durable et partagée. De la même manière qu’on parle d’économie sociale et solidaire : en creux, on reconnait implicitement qu’il y a un problème avec l’économie, et donc ici avec la culture. Voilà, c’est vrai, un questionnement intéressant.

Je ne tenterai pas de résumer ici dans les 5 minutes autorisées notre vision et nos propositions pour la culture. Nous le ferons dans le cadre pertinent. C’est-à-dire pendant la campagne des élections municipales, qui d’une certaine manière s’ouvre un peu avec cette délibération.

Comme pour tout autre rapport et bilan présenté à notre assemblée, qui ne donne évidemment pas lieu à un vote, on l’a vu tout à l’heure avec le rapport DD – nous prenons acte – tout simplement – de ce panorama fourni, éloquent aussi par ses silences.