Madame la première adjointe, chers collègues,
Le conseil municipal est en quelque sorte une scène théâtrale, et notre rôle ici consiste parfois à tenter de dévoiler les coulisses.
Ecoutez bien ces quelques chiffres très parlants, ça va faire des envieux. … Cette délibération représente près de 10 millions d’euros pour 61 opérateurs culturels, c’est à dire l’essentiel des subventions au secteur culturel pour toute l’année.
Sur ces 9.835.549€ exactement, 6.700.000€ sont fléchés vers deux structures : Lille3000 et l’Opéra. Autrement dit, 68% du montant proposé avec cette délibération va à 3% des structures culturelles. Ça donne le sentiment Madame le maire qui nous regardez peut-être en vidéo, que « vous en défendez certains, mais pas le plus grand nombre ».
Est-ce à dire que les 59 autres lieux de cultures et compagnies ne nous procurent que des mini-émotions et petites satisfactions ? Non évidemment. Leur capacité à nous troubler ou à nous faire réfléchir ne peut pas être proportionnelle aux montants votés en conseil municipal. Alors oui, cela vaut la peine d’interroger le pourquoi et le comment de ce type de soutien.
Avec l’opéra, nous avons la capacité de suivi et de débat qui nous est refusé avec Lille 3000, association pour laquelle on nous propose ici de renouveler une convention pour trois ans. Ceci sans aucun programme d’activités, sans aucun bilan de la convention précédente, sans aucun budget pour 2023 et 2024.
Admettez que c’est peu pour décider d’attribuer de nouveau à Lille3000 chaque année 2.750.000€, soit plus d’un quart du soutien aux associations culturelles de la ville.
Et d’ailleurs, quel est le budget réel de la saison Utopia ? Qui peut le dire ? Le budget réel c’est-à-dire celui qui inclut tous les concours externes à la saison Utopia, issus des communes, institutions culturelles et autres associations, comme en témoigne la prometteuse Forêt magique au PBA, ou les actions du Grand Bleu ou Eolie Songe par exemple, qui sont concernées par cette délibération et annoncées au programme de la saison Utopia. Autant d’actions que Lille3000 fera valoir mais qui ne comptent pas dans son budget.
Il y a trop de choses qui ne vont pas avec ces deux subventions pour Lille3000.
Premièrement, le plus frappant : le rétropédalage sur St Sauveur. Vous nous annonciez il y a un an une nouvelle formule avec beaucoup de conviction. Nous avions été positivement surpris. Mais nous émettions quelques doutes sur la façon de procéder : avec une logique d’appel à projets éloignée des principes coopératifs. En commission fin septembre, il était toujours question de continuer sur la nouvelle formule, juste retardée.
Et puis la semaine dernière en commission, vous faites comme si de rien n’était. Retour à la case départ, sans aucune explication, si on n’en avait pas demandé. Lille3000 revient aux commandes opérationnelles du site, mais pas complètement sur la programmation, mais presque, et retrouve son soutien antérieur de 1.050.000€. Derrière le récit officiel de l’opérateur historique réclamé par tous – qui peut se comprendre en partie, il y a certainement d’autres motivations qui restent à éclairer. C’est dommage d’avoir renoncé si vite.
Deuxièmement : quand on regarde le budget 2022 présenté par Lille3000 à la ville cette année, surprise ! La ligne de la MEL s’élève à 2.255.900€ soit… 125% d’augmentation par rapport à ce qui était prévu, en complète contradiction avec la convention pluriannuelle adoptée à la MEL il y a 2 ans. Nous verrons bien en conseil à la MEL dans 3 semaines.
C’est l’utopie selon saint Didier : l’argent public est toujours disponible pour cultiver ses ardeurs, ou compenser le désengagement du privé. C’est gonflé pour une association qui « provisionne » pour préparer les saisons à venir. Je cite là vos propos en commission, Madame l’adjointe à la culture, tout en rappelant que cette façon de faire a été pointée par la chambre régionale des comptes. C’est d’autant plus osé après une programmation 2021 qui a repris les actions non réalisées en 2020 du fait de la crise sanitaire.
Troisièmement, l’utopie et René Dumont placés sous les sigles de Auchan, EDF, Westfield, on ne va pas se mentir, ça fait mal. A vrai dire, le dossier de presse d’Utopia égrène des paroles assez convenues sur la « relation de l’homme à l’environnement ». Heureusement, il y aura forcément des œuvres et des artistes pour rehausser le niveau.
Alors, la nature est-elle une utopie ? A Lille. Vous avez 4 heures, chers collègues. Madame l’adjointe ramassera les copies à la fin du conseil. Un sujet plus facile : la saison Utopia est-elle aussi une campagne de com pour convaincre les lillois que Mme Aubry est devenue écolo ? Dans ce cas on comprend mieux le niveau de la subvention mais on n’adhère pas franchement et on s’éloigne de la culture.
Enfin, à propos de communication, on ne parlera bientôt plus que d’Utopia pendant 4 mois. Les autres – qui ne sont ni les happy few ni les obligés – seront invisibilisés. Puis la saison passera, l’automne arrivera, et on oubliera.
Cette logique événementielle nous paraît à bout de souffle, elle dure en réalité depuis 50 ans (on a trop oublié l’histoire du Festival de Lille qui a précédé Lille 2004). Ce qui est le plus visible n’est forcément le plus durable, écologiquement parlant. Lille3000 est-ce une locomotive ? Est-elle à l’avant-garde de la culture durable ? On peut en douter.
Il est plus que temps de préparer la relève ; 3 ans c’est vite passé. Et d’ailleurs la relève est déjà là. J’ai eu la chance d’assister la semaine dernière aux deux journées du workshop du Palais des Beaux Arts que vous avez évoqué tout à l’heure. Oui ! Quand c’est bien, on le dit aussi.
C’était enthousiasmant d’intelligence, de justesse, d’introspection. Les gens de la culture ne vous – ne nous – ont pas attendu pour produire une culture durable, consciente des enjeux. Au mieux, nous avons semé des graines.
Comme cela a été dit très justement dans un échange au workshop vendredi dernier : la recherche d’éco-conception, c’est d’abord une question de riches. Les structures aux budgets plus modestes, musées, salles de spectacles, compagnies, cela fait longtemps qu’elles s’y sont mises par nécessité puis par conviction.
Ces deux journées au PBA furent passionnantes car grandes, moyennes et petites structures se parlaient avec complicité, sans nier leurs divergences de vue parfois. Elles ont parlé de l’économie des moyens et ressources à réaliser ; elles en sont venues à interroger le sens de leur métier, la finalité de leur action.
J’espère sincèrement que nous parviendrons un jour à des échanges de ce niveau entre nous.
On y a beaucoup entendu que « nécessité fait vertu », que « la contrainte peut se révéler productive », dans une certaine limite. Eh bien le discours sur les limites, c’est peut-être ce qui fait défaut à Lille3000.
Evidemment, avec un budget de près de 9.000.000€, il y aura de bonnes et belles choses dans la saison Utopia grâce à Lille3000, (personnellement j’en attends certaines avec impatience) mais c’est le minimum, tout le monde peut le faire à ce tarif.
Ces interrogations ont déjà été partagées dans cette enceinte. Il est arrivé souvent que les élus écologistes votent POUR, « mais ». Et puis est venue la lassitude de se répéter et de ne voir aucune évolution, n’est-ce pas Madame l’adjointe à la culture ? Et donc sont venus des abstentions, des protestations, des votes différenciés et réfléchis selon la situation, comme il y a un an exactement.
Aussi, comme l’année dernière, nous demandons un vote séparé pour le soutien à Lille3000. Nous reconnaissons le professionnalisme des équipes de Lille3000, et j’ai une pensée pour le délégué général, mais la question n’est pas là, cela n’efface tout ce que j’ai énoncé précédemment.
Dans la continuité de l’expression du groupe écologiste à la MEL en décembre 2019 pour le renouvellement de convention, nous voterons donc CONTRE ce soutien qui de toute façon sera adopté.
Précisément, nous votons contre les règles d’exception, contre l’absence de dialogue argumenté et de vision. En somme, et surtout, nous votons POUR susciter et prolonger le débat sur la politique culturelle lilloise hors de l’hôtel de ville.
Et puisque ce conseil est une scène, à vous le beau rôle, on est prêt pour les coups, ou le dédain, je ne sais pas quelle partition vous allez jouer. Merci de votre attention.